Guetteurs d’espérance
Mes chères Soeurs, mes chers Amis,
« Écoutez la voix des guetteurs, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur ». Cf. Isaïe 52, 7-10. Vous êtes sûrement d’accord avec moi que cette parole nous ouvre à l’avenir, nous fait regarder plus loin que nous-mêmes. Cette parole inspire liberté d’esprit et de cœur. Elle nous offre un regard neuf car de leurs propres yeux, ces guetteurs voient le Seigneur. De loin, de très loin dans le temps, ils ont vu le Dieu-avec-nous.
Et nous ? Que guettons-nous ? Que voyons-nous ? Allons-y mes Sœurs, prenons la posture du guetteur : regardons au loin, la main sur le front, regardons tout doucement le long de l’horizon. Avec une attention éveillée, regardons l’étoile qui brille au loin, fixons-la, elle ressort à l’horizon. Contemplons cette toute petite lumière, une étincelle qui perce la nuit. Un rayon éclatant qui vient jusqu’à nous. Veillons. Et suivons du regard le regard des guetteurs. Qu’est-ce qui finalement se dessine au loin ?
Après ce temps de pause où notre imaginaire s’est mis en route, nous avons sûrement perçu quelque chose, sans voir. Qu’avons-nous distingué à l’horizon ? Chacune, de là où elle en est aujourd’hui, guette sereinement l’horizon de l’actualité de sa vie ou de l’histoire de l’humanité, et elle entend une fine voix : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le Peuple. Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Cf. Luc 2, 10-12.
Enfin, l’horizon prend forme, quelque chose de neuf se dessine dans la simplicité des faits, se révèle dans la modestie des évènements, s’accueille dans l’humilité du récit. Écoutons ensemble la mélodie qui jaillit de cette Parole : « Marie mit au monde son fils premier-né, elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux (Joseph, Marie et le nouveau-né) dans la salle commune. Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière ». Cf. Luc 2, 7-9. Les bergers ont guetté l’histoire de la vie ordinaire, ont entendu l’inattendu, ont vu l’Invisible dans le visible, ont percé le discret susurrement qui jaillit du Verbe, Lumière née de la Lumière.
Chercher sans cesse la vraie Lumière, guetter l’étoile à l’horizon, entendre l’inattendu du Dieu-avec-nous dans l’ordinaire de nos nuits, c’est un vrai défi pour chacune de nous et pour l’ensemble de la Congrégation. « Les bergers se disaient entre eux : Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, l’événement que le Seigneur nous a fait connaître. Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers ». Cf. Luc 2, 15-18. Les bergers ont guetté dans la nuit, ils ont vu, ils ont entendu, ils ont suivi les signes, ils se sont hâtés d’y aller, ils ont découvert, ils ont contemplé, ils ont raconté, ils ont annoncé. Et ils étaient ensemble dans la nuit. Ensemble pour faire tout ce chemin de guetteurs. Tout se passe dans la nuit, une nuit étoilée, mais quand même une nuit. Une nuit c’est une nuit ! Et les bergers ont percé ensemble la nuit jusqu’à trouver la Lumière du Jour, qui n’aura pas de fin.
Nos guetteurs sont réactifs, ils disent ce qu’ils voient, sans rien ajouter de plus, car ils savent que ce qu’ils voient est important pour faire avancer l’histoire. Ils ne grossissent pas ce qu’ils ont vu, mais ils disent clairement avec passion et joie débordante ce qu’ils voient de leurs yeux. Le guetteur, la guetteuse perce les signes au loin, il les sent venir, il les accueille tels qu’ils se présentent, il les communique tels qu’il les voit. Et cela donnera certainement envie à d’autres de guetter. De guetter le Dieu-avec-nous dans cet enfant couché dans une mangeoire. C’est si simple et si complexe ! Si naturel et si surnaturel !
Accepter d’être guetteuse d’un avenir qui se pointe à l’horizon, il faut le croire. Accepter d’être guetteuse d’un présent qui avance sur des chemins escarpés, ce n’est pas évident. Accepter d’être guetteuse d’une faible lumière qui brille au loin, parfois bien loin, mais qui brille, il faut l’oser. C’est vraiment audacieux de suivre une petite étoile dans la nuit.
En écoutant beaucoup d’entre nous ces derniers temps, je peux affirmer avec joie que nous sommes des guetteuses. Les Spiritaines sont des guetteuses, les Amis d’Eugénie Caps sont des guetteurs, les EugénieJeunes sont des guetteurs. Tous et toutes cherchent le Dieu-avec-nous dans leurs vies, dans les évènements, dans la routine… et c’est vrai aussi que chacun et chacune de nous a sa spécialité dans ce domaine « de guetteur et de guetteuse ».
Pour nous les Spiritaines, il y a celles qui sont plus rapides, plus perçantes, plus éveillées, plus sereines, plus émerveillées, plus canalisées, plus désordonnées, plus simples, plus frontales, plus diplomatiques, plus émotives, plus objectives, plus précises, plus libres, etc. mais toutes des guetteuses de la vraie Lumière. Guetteuses dans des nuits plus obscures ou dans des nuits plus étoilées, guetteuses pour voir de leurs propres yeux le Seigneur.
Oui, Le voir de nos propres yeux dans ce qui nous arrive de surprenant, dans les évènements imprévus, dans les épreuves bouleversantes, dans les joies inattendues… Oui, Le voir, et Le voir comme Il veut se révéler à nous en ce moment précis de la vie et de l’histoire. Le rencontrer, Lui, tout en Le guettant, paisiblement et sans relâche.
C’est vrai, des jeunes sœurs nous ont demandé de quitter car elles ont découvert d’autres chemins pour être heureuses. D’autres ont quitté tout simplement parce que leur façon de vivre ne pouvait pas se conjuguer avec la vie consacrée. D’autres se sont engagées plus à fond sur le chemin de la vie spiritaine car elles ont senti que leur bonheur c’est dans cette Famille religieuse, qui est la nôtre, avec leurs fragilités et leurs forces. Des Aînées ont rejoint la communauté du Ciel sereinement, c’est l’accomplissement de vies remplies de Bien. D’autres aussi ne trouvent pas leur place, elles cherchent encore au sein de la Congrégation leur bonheur et parfois en creusant des ruptures, en traversant des tempêtes, en marchant à tâtons… parfois en combattant sur des terrains stériles.
Dans son Journal, Sœur Eugénie nous exprime bien ses hauts et ses bas. Pourtant, elle a su mettre toute sa volonté sur le chemin à faire avec le Seigneur, « Je tombe, je me relève, je sens plus ou moins ma faiblesse et je sens surtout qu’il me faut votre Sainte grâce ô mon Jésus et de mon côté une dose de bonne volonté. L’énergie est mon partage je le sens très bien et grâce à cette énergie je serai ce que Dieu me veut, mais il me faut vouloir et je suis parfois bien lâche encore. Comme Dieu le veut ». Cf. Journal de Sœur Eugénie Caps, 12 janvier 1923. Eugénie a accepté de marcher avec sa faible lumière et elle a fini par beaucoup éclairer. Aujourd’hui, nous en sommes la preuve, n’est-ce pas ? Et de son côté, le Père Libermann ne cesse aussi de nous dire à travers ses écrits que « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort, par la confiance en Celui qui est ma force. Le Seigneur sera ma force, s’il me trouve trop faible, il le faut bien, il est souverainement sage. Il faut donc qu’Il y mette du sien ». Cf. Notes et Documents, IV, 303, 1843.
Mes Sœurs, disons-le entre nous : est-ce que nous osons toujours marcher ensemble avec nos faibles lumières ? Et si dans ce Noël, notre démarche d’Avent serait de prendre la décision de mettre ensemble nos faibles lumières, nos petites torches un peu éteintes, vous ne croyez pas qu’il y aurait de la belle lumière pour toute l’année 2023 ? Une étincelle éclatante, certes faite de nos timides lumignons, mais qui suffira pour éclairer le nouveau-né dans notre crèche communautaire. Et l’obscurité d’aucune nuit n’éteindra cette étoile, née de nos faibles luminaires.
Nous sommes ainsi invitées, tout au long de cette année 2023, à ne pas nous arrêter de faire du chemin avec nos fragiles espoirs. Entre craintes et endurance, peurs et confiance, marchons, marchons, marchons ensemble à l’image de tous ces guetteurs et guetteuses d’Espérance, qui nous ont précédées sur la voie de l’Évangile.
Et quand nous n’arriverons plus à guetter pour des raisons diverses, pas d’inquiétude, d’autres guetteurs nous offriront une étincelle d’amitié, qui aura le goût de Dieu, pour franchir le chemin. Et là, au sein d’une humanité bien vulnérable nous rencontrerons le Seigneur de la Vie, le Seigneur qui console, le Seigneur qui nous sourit, c’est Lui le Seigneur de nos recommencements sur la terre et dans le Ciel.
Je vous souhaite à vous mes Sœurs et à tous nos Amis, un Noël rempli de joie et une Année 2023 bien heureuse, à vous guetteurs et guetteuses d’Espérance.
Et dans la tendresse de Noël, je vous embrasse,