En la fête du Cœur Immaculé de Marie, le Père Marc Botzung, Supérieur des Spiritains de la Province de France, s’adresse ainsi aux Sœurs Spiritaines, au cours de son homélie,
Fête du Saint Cœur de Marie, année jubilaire des Spiritaines
Je discutais samedi dernier avec deux parents, un monsieur ivoirien et une veuve d’origine portugaise. Nous avons parlé notamment de la difficulté d’éduquer des enfants. Il s’y mêle amour, inquiétude, étonnement de la manière dont chacun est différent. Ou encore : « ils cherchent les failles », « ils ne laissent rien passer ».
Certains jeunes marquent par leur goût pour la légèreté, d’autres ou les mêmes sont travaillés par des questions plus graves, des questions parfois essentielles. La parole de Jésus le situe de ce côté-là : « ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Confronté, déjà, au sens du Temple, c’est-à-dire à l’enjeu du vrai culte rendu à Dieu, et en discussion, déjà, avec les spécialistes de la Loi, donc de la Parole de Dieu, cet épisode pose le cadre de ce que sera l’originalité de Jésus, son authenticité, sa vérité. La mention de la recherche durant trois jours, pourrait même être une allusion au fait que Jésus se retrouve déjà entouré de ceux qui plaideront pour sa condamnation… Bref épisode qui préfigure ce qui viendra, avec la question de fond : « ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Voilà bien notre vocation humaine et baptismale : avec le Fils, découvrir et apprendre à aimer Dieu, le Père. La parole de Jésus sur sa propre vocation, nous renvoie à la nôtre.
Marie, sa mère, vit ce moment dans l’inquiétude, puis dans l’étonnement. C’est effectivement « déplacé » que le jeune adolescent rural de Galilée « existe » et interroge ces hauts placés de la religion. Mais que ce passe-t-il ? Mais qui est-il donc ? Retenir ces événements aidera à essayer de les comprendre. Un bouleversement s’amorce, mais il est trop tôt pour le percevoir. Pour Marie, commence le retournement qu’elle aura à vivre. Le retournement, c’est-à-dire la conversion. La mère doit se mettre à l’école du fils, il revient à la mère pour accomplir sa vocation, de devenir disciple.
Cette expérience rejoint quelque chose de la nôtre. La soif de Dieu, l’écoute de l’Évangile, créent jusqu’au sein de nos relations familiales des relations qui changent. Comme si il y avait quelque chose qui devait être revu, plus distant, en tout cas avec une part de recul, plus ajusté, désormais une part qui va au-delà de l’affectif ou de la relation d’opposition pour que jusque là, dans nos relations familiales, la recherche de Dieu et la mise en pratique de sa parole fassent œuvre de justesse. Les récits de nos vocations respectives ne sont-ils pas traversés par ce travail de fermentation d’Évangile ? J’y perçois un écho de ce qu’indiquait aussi Paul aux Corinthiens : « si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. »
Les écrits de sœur Eugénie Caps nous relatent cette lente fermentation également. Émergence d’un désir, naissance tâtonnante d’une vocation avec un rôle crucial joué par tous ceux et celles qui, par leurs méditations, l’aideront à percevoir peu à peu la volonté de Dieu. Elle aussi « gardait tous ces événements dans son cœur », pour les décrypter et pour rendre grâce, quelques soient les accrocs du chemin. Son désir, d’être elle aussi « chez son Père », l’a ouverte au sort des plus démunis, des lointains. Pas étonnant : la découverte du visage du Père renvoie toujours à la découverte des visages des frères et sœurs, à prendre soin d’eux, spécialement des plus abandonnés. Pour eux aussi, tout « plus de vie » passe par le fait de pouvoir accueillir de manière plus vraie le sens de leur vie qui se reçoit de l’amour de Dieu. « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Et l’apôtre Paul a raison d’affirmer que cette démarche a toujours un goût de réconciliation.
Arrivés à ce stade il nous faut évoquer ce qu’apporte comme note propre la célébration de la fête d’aujourd’hui : la fête du Cœur immaculé de Marie. Le Père Libermann évoque ce cœur comme « modèle de vie apostolique ». Ayons-y accès par cette parole qu’il adressait à ses novices en ciblant leur vocation missionnaire et plus spécifiquement leur zèle : « Pour faire du bien aux âmes, il faut gagner les cœurs et c’est par la douceur que nous les gagnerons. »[1] Parole à rebours de tout rêve volontariste ou héroïque. Il s’explique : « (…) Ce défaut de douceur est très nuisible au bien des âmes, car toutes les fois que nous montrerons de l’aigreur ou de l’emportement, nous pouvons bien compter que ceux avec qui nous traiterons de la sorte seront prévenus contre nous, se mettront comme en défense et ne se rendront jamais ou presque jamais. »[2] Il ne s’agit cependant pas tant de tactique que de faire place pleinement à l’action de Dieu lui-même à travers nos vies. Il est le Maître de la mission. On se méfiera donc de tout ce qui en nous pourrait lui faire obstacle, notamment en s’accrochant lourdement, défensivement, avec crainte, à telle opinion, telle fausse sécurité. Oui, la mission est élan, souffle, transmission d’une vie qui nous traverse, mais ne nous appartient pas. Il revient d’y consentir : « que ta volonté soit faite », pas de pousser.
Les Évangiles parlent peu des actions de Marie et ils ne signalent aucun miracle. Surprenante discrétion pour quelqu’un qui est si honoré dans les fêtes du calendrier de l’Église ! Elle est cependant source d’inspiration et image de la vocation de l’Église : disciple travaillée au cœur par le feu de la Parole de Dieu, docile à son Esprit (Esprit de douceur, qui n’est ni mièvrerie ni opposé à une possible fermeté), elle est au service et renvoie constamment au Fils.
A sa manière la fête liturgique d’aujourd’hui nous renvoie aussi au lieu essentiel où se joue notre fidélité ou non à notre vocation religieuse et missionnaire. Le lieu du combat, comme celui de la possible paix reçue comme don de l’Esprit, est bien le cœur. Amen.
[1] Règle provisoire des Missionnaires (du Saint Cœur de Marie) de Libermann, Texte et commentaire, Pro manuscripto, 1967, pp. 152-153.
[2] Idem.
Homélie du Père Marc Botzung, Fête du Cœur Immaculé de Marie, 12 juin 2021, Chapelle de la Rue Lhomond.