Soeur Agnès Simon-Perret

Soeur Agnès Simon-Perret, Spiritaine française en mission aux Philippines à Iligan depuis 2012, nous partage l’histoire d’une maman Bajau en lutte pour la vie et la dignité.

Esmerida est la dernière enfant de Hilda. Son père a été tué en mer il y a quelques années. Cette famille est l’une des plus pauvres parmi les Bajau. Esmerida a bien failli mourir l’année dernière, jusqu’au jour où le diagnostic a enfin été posé, « mal de Pott » c’est-à-dire tuberculose vertébrale. Aujourd’hui, Esmerida est toujours sous traitement antituberculeux, mais elle est bien vivante et a commencé son parcours scolaire. Cependant son dos est déformé. Nous avons décidé de consulter un orthopédiste pour savoir si quelque chose de plus peut être fait pour elle. Nous convenons d’un jour, et un matin, la maman part à l’hôpital avec sa fille, fait inscrire l’enfant sur la liste des patients à consulter, et nous attend. Mais à notre arrivée, surprise ! La maman s’est trompée sur le nom de l’enfant et donc son dossier n’a pas pu être trouvé. Elle a dit que l’enfant toussait, donc elle attend d’être vue par un pédiatre. Moment de panique dans un monde si étrange et hostile pour elle.

Après avoir trouvé le dossier et réorienté l’enfant vers la consultation d’orthopédie, nous voilà parties pour deux bonnes heures d’attente. Consultation, plaisanteries douteuses au sujet des Bajau et de notre travail auprès d’eux, nous restons imperturbables, sachant exactement ce que nous sommes venues chercher. Il faut faire des radios. Circuit habituel pour nous, mais déroutant pour la maman, passer au service de radio pour connaître le prix, puis au bureau d’aide sociale pour demander une réduction. Nous la laissons devant la porte pour qu’elle rentre pendant que nous nous occupons d’une autre enfant avec un sérieux problème. Mais non, porte infranchissable pour elle, barrière des préjugés, barrière du manque de connaissance, barrière de la langue, barrière de la peur. Elle nous suit donc jusqu’à ce que nous soyons à nouveau disponibles pour elle, et finalement les radios sont faites. Résultat dans une semaine et nouvelle consultation. Bilan de la journée, la pauvreté de cette famille est à multiples facettes.

Sœur Agnès accueille le petit Henry avec un geste de bénédiction.

Bien sûr il y a la pauvreté économique, mais plus encore la pauvreté engendrée par la discrimination, la peur, le manque de connaissance du monde d’aujourd’hui. Mais que dire du courage de cette femme, qui commet des erreurs, c’est certain, mais qui les reconnaît et se relève pour se battre encore pour ses enfants, alors qu’elle-même est sûrement fatiguée. Et nous, Spiritaines, nous sommes témoins de ce combat silencieux, et nous prions pour cette famille et pour tant d’autres, avec au fond du cœur bien souvent des larmes, mais aussi un espoir têtu, celui de voir Esmerida et tant d’autres devenir lumière pour les leurs. Alors leurs mamans, Hilda et toutes les autres, pourront se reposer en paix. « Et maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur aller en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples ». Lc 2, 29-31.
Sr Agnès Simon-Perret