Monseigneur Cailleau, Préfet apostolique de Tambacounda, souhaite la présence de religieuses qui parcourent la brousse pour un contact plus profond avec les populations et particulièrement avec les femmes. Ce souhait rencontre l’aspiration de deux Spiritaines : Sœur Mauricia et Sœur Thérèse, qui se sentent appelées à  vivre au milieu des pauvres, au milieu de tous ceux «qui n’ont pas entendu, ou à  peine, le message du Christ».
Un projet prend corps en faveur des Bedik, une petite tribu disséminée dans la montagne au siècle dernier.

Les Bedik, en majorité, sont réfractaires à  l’Islam, ce qui leur vaut parfois le mépris mal dissimulé de leurs voisins plus puissants.

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Le 10 Décembre 1972, après un entretien avec Monseigneur Cailleau, les deux Sœurs arrivent à  Kédougou, à  la frontière de la Guinée. Leur objectif? Faire un bout de chemin avec les Bedik pour créer des liens, connaître leurs attentes, jusqu’à  pouvoir leur dire un jour plus explicitement que Dieu les aime et qu’il est déjà  là , au milieu d’eux.

Commencent alors quatre années d’enfouissement où la principale activité sera d’être là , menant une vie toute simple, tissée de petites choses quotidiennes. « Les gens connaissent toutes nos occupations. Facilement, les femmes viennent s’asseoir avec nous, examinant notre travail, surtout couture et repassage, demandant d’en faire autant».

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A bord d’une vieille Jeep fatiguée, les Sœurs font des tournées, demeurant deux ou trois jours dans les villages à  travers la montagne. La montée est raide, difficile, par des chemins non repérables. Les Sœurs ont inventé leurs poteaux indicateurs : un chiffon accroché à  un buisson, de la peinture rouge sur des blocs de pierre…

De part et d’autre, on se rapproche chaque jour un peu plus : les villageois appellent les Sœurs pour la récolte du miel. Ils les invitent à  prendre part à  leurs joies : naissance, mariage. Elles sont aussi associées aux événements moins heureux : maladies, deuils. Selon leurs possibilités, elles s’investissent dans les travaux collectifs : semailles, récoltes. Sur le lieu de travail, on leur prête une case pour passer la nuit. Des années difficiles à  vivre, laissant une impression d’inutilité.

Cette première approche permet pourtant aux Sœurs d’aller plus loin sur tous les plans. Santé : création de pharmacies villageoises, forage d’un puits, causeries sur l’hygiène. La mortalité infantile diminue. Développement : il est important qu’il soit collectif avec la mise en place de petites coopératives, le lancement d’actions nouvelles : opération dessouchage, concours de propreté, etc. Evangélisation : une idée-force habite les Sœurs « seul un Bedik peut évangéliser un Bedik ». Il faut donc se préoccuper de la formation de futurs animateurs, en réfléchissant en équipe de secteur Pères et Sœurs.

Bandafassi devient une sorte de village-pilote : c’est là  que la communauté chrétienne naîtra vraiment et prendra peu à  peu sa dimension. Les Sœurs notent une lente mais sà»re évolution :

Décembre 1977 : préparation et célébration d’une veillée de Noël.

Pâques 1978 : veillée pascale.

Noël1978 : pour la première fois, la messe est célébrée dans un village Bedik.

Pâques 1979 : 18 baptêmes sont conférés au cours de la veillée pascale.

Bientôt, la communauté devient missionnaire. Animateurs et chrétiens vont de leur plein gré annoncer la Bonne Nouvelle dans les villages voisins. Le village devient le lieu où l’on s’entraide, où l’on se soutient. La semence lève…

L’évangélisation veut respecter la culture, tenir compte des coutumes et les christianiser dans la mesure du possible. A l’intérieur des célébrations, on introduit peu à  peu la bénédiction des semences, la fête des prémices, l’offrande des récoltes, la Parole de Dieu mimée. Mais la joie de voir avancer le Royaume de Dieu n’est pas sans mélange : manque d’intérêt de certains villages pour se prendre en main ; inconstance des catéchumènes ; problèmes posés par les voyages avec de mauvaises pistes et une vieille voiture fatiguée… Opposition de plusieurs chefs de village, d’anciens, qui craignent de perdre leur autorité. Partage aussi des épreuves de la population : mauvaises récoltes, pénurie de nourriture, souci des enfants qui s’enfuient de l’école… « Nous nous demandons parfois ce que nous faisons ! »

Cependant, la foi et l’espérance sont plus fortes. A Bandafassi, les chefs du village ont pris peur devant la communauté chrétienne qui s’agrandit. Ils ont mis des bâtons dans les roues. Mais les nouveaux baptisés ont réagi et déclaré avec conviction qu’ils étaient libres de choisir Jésus-Christ. Pour les Sœurs, ce fut une révélation, une joie !

Quel plus beau signe de fécondité pour une communauté que l’ordination d’un de ses membres ? Pierre Dagny Keita, un des premiers baptisés Bedik, est ordonné prêtre à  Kédougou en 1985. L’Eglise commence donc à  porter fruit. N’est-ce-pas, pour les Spiritaines, le moment de passer la main ? Une réflexion s’instaure en équipe apostolique et en Congrégation, au terme de laquelle le départ des deux Spiritaines est décidé. Ecoutons-les au moment où elles quittent le pays : « Désormais, c’est sur les nouveaux chrétiens que reposera l’annonce de l’Evangile. Avant de partir, nous nous sommes réunis pour une dernière prière ensemble. Nous avons écouté la Parole. Léon nous a dit : Maintenant, nous connaissons la Parole et nous pouvons l’annoncer à  nos frères. Nous vous envoyons pour aller la dire à  ceux qui ne l’ont pas encore entendue… »