Dans un village d’Oubangui, au Centre de l’Afrique, vers 1925, une petite fille voit le jour. Kounza, sa jeune maman, est rayonnante et déclare que l’enfant s’appellera « Koguila », ce qui signifie « la fille du kapokier ». Pendant trois ans, maman et bébé ne font qu’un… Attachée sur la hanche ou le dos de sa mère, Koguila va à la plantation, au marigot, dans les villages voisins. Assise près de la marmite qui bout, elle écoute les discours de Kounza. Sa mère lui a toujours parlé comme à une grande personne.
Koguila n’a que dix ans quand sa maman, atteinte d’une dysenterie amibienne, meurt en quelques jours. La fillette est inconsolable! Son père est déjà décédé. Sans perdre de temps, l’enfant « ramasse » ses trois petites sœurs et son frère et les amène chez Ndah, cousine de sa maman, dont la bonté conquiert le cœur des quatre orphelins.
De Koguila à Sœur Marie-Marcel, un long et difficile chemin est à parcourir. Comment va-t-elle rencontrer les Spiritaines ?
L’Institut des Sœurs Missionnaires du Saint-Esprit est né le 6 Janvier 1921. A la demande de Mgr Grandin, Vicaire apostolique d’Oubangui, quatre Spiritaines arrivent à Bangui le 6 Janvier 1929 et sont affectées à la mission de Saint Paul des Rapides. Elles trouvent là une cinquantaine de jeunes filles dont s’occupaient les Pères, aidés par une veuve formée à Brazzaville. En plus des œuvres classiques, les Sœurs adoptent le projet de l’Evêque : aider à l’éclosion et au développement des vocations religieuses féminines en vue de créer une congrégation locale.
Mais revenons à Koguila…
Une spiritaine raconte : Par un beau matin de saison sèche, les Sœurs vont en tournée dans un village. Une petite fille arrive près d’elles : « Mères, je veux partir avec vous à la Mission ». C’est une enfant de l’ethnie Ali et on a remarqué que celles que nous avions acceptées avaient pris la clé des champs les jours suivants.
– Non, pas toi, ma petite, tu ne resterais pas.
– Si, je veux aller et rester à la Mission toujours.
Un petit sourire échangé, les Sœurs acceptent. On verra bien !
Commence alors la vie de l’internat avec ses multiples occupations et un enseignement élémentaire, surtout l’étude du catéchisme. Koguila s’achemine vers le baptême qu’elle reçoit le 1er Février 1945. Elle devient : Albertine. Son désir d’être « Mère » s’affermit, non sans lutte : comment laisser ses jeunes sœurs, son frère, sans leur maman, quand c’est elle qui la remplace ? Une solution est trouvée : elle fait venir ses sœurs à la Mission. Quant au frère, il sera accepté à l’internat des garçons. Il lui faudra vaincre aussi l’opposition de ses oncles. Son courage et sa foi triomphent de tout.
Albertine se joint à cinq compagnes pour recevoir, à Saint Paul, près de Bangui, une formation humaine et spirituelle qui sera forcément longue. La voilà postulante. En 1945, une grande peine l’atteint : la mort accidentelle de Mgr Grandin qui aimait particulièrement « ses petites postulantes ». Mgr Cucherousset lui succède : il cherche un Noviciat qui accepterait les deux postulantes restantes, Albertine et Odile. Les autres n’ont pas persévéré. Au Gabon, Mgr Adam les accueillerait dans la congrégation des Petites Sœurs de Sainte Marie. Elles partent donc pour Libreville le 4 Juillet 1949. Le 8 Septembre 1951, elles font profession et, à la demande de l’Archevêque de Bangui, en août 1953, elles reviennent en Oubangui. Albertine est devenue Sœur Marie-Marcel, en souvenir de Mgr Marcel Grandin.
Elle est alors envoyée à Mbaïki, elle y vivra en communauté spiritaine, participant à l’apostolat des Sœurs, en particulier au jardin d’enfants. Situation instable qui ne pouvait durer. Ecoutons la suite du témoignage de Marie-Marcel : « Vu que le nombre des religieuses n’était pas suffisant pour faire une congrégation locale, Monseigneur nous avait demandé de choisir une congrégation qui se trouvait dans le pays. J’ai demandé mon admission chez les Sœurs du Saint Esprit ». Elle n’était pas seule à vouloir rejoindre les Spiritaines à cette époque, une autre l’avait devancée dans ce désir.
La journée de Pâques 1958 fut radieuse à Bangui car les deux Sœurs oubanguiennes entraient dans notre famille religieuse. La cérémonie eut lieu à la cathédrale, en présence d’une foule de parents et d’amis du village. Monseigneur résuma l’histoire de la vocation des Sœurs : « Elles semblaient être appelées à devenir les premières plantes d’une Congrégation autochtone. Dans cette intention, elles durent s’expatrier dans les pays voisins, déplacements qui mirent leur vocation à l’épreuve. La persévérance dont elles firent preuve triompha cependant de tout, avec la grâce de Dieu ». Sœur Marie-Marcel ne trouve pas de mots pour exprimer sa joie et son émotion. Discrètement elle murmure à son ancienne maîtresse du postulat : « Si maman était là ! Comme elle me manque en ce beau jour ! ».
Après sa profession, elle retourne à Mbaïki, heureuse au milieu des petits du jardin d’enfants, elle y déploie ses talents d’éducatrice. A-t-on besoin d’elle au centre ménager ? Elle collabore à la formation des jeunes femmes, les préparant aux tâches domestiques. Ainsi pendant cinq ans. Puis bonne surprise : une année de formation à Paris lui est proposée. Son grand désir se réalise : découvrir davantage la Congrégation et la Maison-Mère, retrouver des Sœurs connues, en rencontrer d’autres. Toujours souriante, elle est vite adoptée par les communautés. Elle suit avec profit un cours de perfectionnement en formation féminine, clôturé par un diplôme de « monitrice auxiliaire d’enseignement ménager ».
C’est à Chantenay, alors maison de formation, qu’elle prononcera ses vœux perpétuels le 22 juillet 1964. Quelques mois après, elle reprend l’avion pour son pays.
Au centre ménager de Saint Paul des Rapides, elle va donner toute sa mesure, se montrant exigeante pour ses élèves, femmes et jeunes filles à qui elle enseigne économie familiale, coupe, couture, broderie. Quelques-unes ne peuvent venir à la mission ? La Sœur se déplace dans les quartiers l’après-midi. Elle poursuit aussi un autre projet : initier les femmes du village à l’élevage des poulets afin qu’elles trouvent là une source de revenus. Tâche difficile : elle s’est souvent retrouvée seule pour soigner poules et poussins !
Mais très tôt, des ennuis de santé freinent ses désirs apostoliques : crises d’asthme, épisodes d’hypertension la font beaucoup souffrir. Néanmoins, elle mène la vie courante, entretient des relations… Reconnue pour ses qualités d’écoute, son jugement droit, elle est facilement sollicitée dans des situations difficiles.
A plusieurs reprises, Sœur Marie-Marcel retrouvera la France pour raison de santé. En 1986, elle est même affectée à la communauté de Vaucresson et y restera deux années, repartira en 1988 pour Bambari où le climat moins humide lui sera plus favorable. Dans ce nouveau cadre, elle retrouve ses occupations familières. Mais sa santé décline et, dans la nuit du 1er au 2 Mai 1991, un accident vasculaire se produit. Transportée d’urgence à Bangui, elle s’éteint doucement le 5 Mai, entourée des Sœurs et de sa famille proche. A la messe des funérailles, l’église de Saint Paul ne contient pas la foule qui entoure Mgr Ndayen, archevêque de Bangui, Mgr Maître, Evêque de Bambari et les nombreux prêtres concélébrants.
Marie-Marcel, une des premières femmes centrafricaines appelées à consacrer sa vie à Dieu et à ses frères, courageusement, vous avez dit « oui ». Pierre de fondation, taillée, ciselée par la vie, par les épreuves des commencements, vous êtes la base d’un édifice qui se construit peu à peu. Merci à vous !