Charlotte Gyger naît le 30 Novembre 1914 au cœur d’un petit village des environs de Fribourg, en Suisse. Enfance heureuse au milieu d’une fratrie de quatre filles et d’un garçon.
Etudes classiques brillantes, durant lesquelles Charlotte s’initie aussi au piano, à l’orgue, sous la direction d’un maître qui voudrait bien voir la jeune fille se consacrer entièrement à la musique. Mais déjà un autre appel résonne au fond de son cœur. En 1933, lors d’une conférence donnée par un Missionnaire du Saint-Esprit, Charlotte entend parler de la jeune Congrégation des Spiritaines, née en 1921. Sa décision est prise, elle sera missionnaire dans ce nouvel Institut ! Pour compléter ses études, Charlotte et l’une de ses sœurs passent une année à Rome. Elles y enseignent le français, apprennent l’italien, suivent des cours d’archéologie et cela ne lui suffit pas ! Afin d’d’être plus efficace dans son futur service, Charlotte prépare et obtient son diplôme d’infirmière.
Le 31 Mars 1937, elle arrive au postulat d’Arras. Deux années et demie de préparation devront encore précéder son départ en mission. Mais un événement inattendu vient bouleverser tous les plans. La guerre éclate en 1939 et le noviciat doit se réfugier en Mayenne. Devenue Sœur Benedicta, notre jeune novice y prononcera sa première consécration. Affaiblie par les privations qu’entraîne la période d’occupation, elle doit ensuite rentrer chez elle pour se soigner. L’air natal aidant, son état de santé se fortifie si bien qu’elle peut prendre un poste d’infirmière au sanatorium où travaillent les Spiritaines, à Montana, dans le Valais.
Encore un peu de temps et son plus cher désir va se réaliser, le départ en mission. Sera-ce l’Afrique ? Cette Afrique qu’elle avait chantée dans un texte écrit au noviciat : « L’Afrique ! Quelle foule de souvenirs ce mot plein de mystère et de soleil ramène sur l’écran lumineux de ma mémoire ! Nous avions au lycée, comme professeur de géographie, une religieuse extraordinairement douée qui avait le talent d’enthousiasmer sainement les jeunes. Elle ne se doutait pas, la chère femme, qu’elle était en train de me tailler une âme d’apôtre ! ».
Ce ne sera pas l’Afrique mais la Martinique ! Et, le 26 avril 1947, c’est une Sœur Benedicta heureuse que le bateau emmène vers Fort-de-France. Dans son journal de voyage, elle nous partage les sentiments qui l’animent « Pour des missionnaires, partir, c’est vivre. Enfin, c’est réaliser le grand rêve, toucher du doigt le cher idéal si longtemps entrevu dans une donation absolument complète, famille, patrie, amis, chers souvenirs, il faut tout sacrifier. Et comme nous n’aimons pas les demi-mesures, les cadeaux qu’on retire petit à petit en les caressant de la main et du regard, nous offrons tout dans un grand élan ».
Le 9 Mai, elle est accueillie à la communauté Sainte Thérèse et, tout de suite, se met au travail, au dispensaire qu’elle dirige avec compétence et dévouement. A la chorale « elle nous soutenait, d’abord à l’harmonium, puis à l’orgue ». Elle conduit crânement l’auto de la mission.
Elle rêve d’un foyer pour les jeunes filles venant travailler en ville. Elle le réalisera avec la collaboration des sœurs et des prêtres de la paroisse. Ses lettres parlent de son bonheur, de la mer si belle où se pose avec tant de grâce l’hydravion porteur de courrier. Il semble tout d’abord que sa santé supporte bien le climat. Son amour de Dieu et du prochain lui donne de grandes forces. En 1948, cependant, un ictère infectieux et une amibiase la laissent dans un état de fatigue qui inquiète un peu son entourage.
Au matin du 16 Mars 1949, elle confie à sa supérieure qu’elle ne se sent pas bien. Pensant avoir affaire à une cholécystite, les médecins prescrivent un traitement qui se révèle inefficace. Le 27 Mars, la température élevée laisse supposer une typhoïde, ce que l’analyse du sang confirme aussitôt. Il faut envisager l’hospitalisation. Avec lucidité, Sœur Benedicta suit l’évolution de son état. Elle met ordre à ses affaires personnelles et reçoit le sacrement des malades. Elle connaît alors un moment d’accalmie suivi, le lendemain, par une grave hémorragie. Les Sœurs ne la quittent pas. Légère amélioration durant quelques jours. Elle demande « Est-ce qu’on ne pourrait pas câbler à ma pauvre maman qu’il y a un petit mieux ? ».
Le 11 avril, la journée est assez bonne, on reprend espoir. Hélas, une nouvelle hémorragie, très sérieuse, fait comprendre que le sacrifice approche. La malade s’abandonne pleinement à Dieu et prie. Le 13 au matin, elle dit à sa supérieure « Priez… je m’en vais… ». A la dernière invocation, elle rend son âme à Dieu. Selon la coutume, ses obsèques ont lieu le soir même et c’est un long cortège émouvant que déroule toute la foule des gens qu’elle avait aimés et soignés.
Aujourd’hui encore, dans leurs difficultés, les Martiniquais viennent solliciter l’intercession de Sœur Benedicta et allument une bougie sur sa tombe. Tous ne l’ont pas connue sans doute, mais ils savent, par tradition familiale, qu’une « amie de Dieu » repose là !